Alain Fleischer, « Je ne suis qu’une image » à l’HDA Var à Toulon

Marlène Pegliasco
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[Toulon] Photographe, cinéaste, professeur, plasticien, écrivain … Alain Fleischer est un artiste aux mille facettes. Directeur du Fresnoy – Studio national des arts contemporains, l’homme mêle création visuelle et discours intelligent autour de la question de l’image. Attirer l’attention sur celui qui regarde, se laisser duper par des apparences trop évidentes, faire ressusciter la vision enfantine et s’imprégner avec candeur des œuvres : l’exposition « Je ne suis qu’une image », proposée par l’Hôtel Départemental des Arts de Toulon, explore le parcours d’un homme généreux et d’une grande curiosité, à travers deux parties: l’une consacrée aux œuvres qui ont marqué sa carrière artistique et l’autre dédiée à ses nombreuses nouvelles créations. Nous avons rencontré Alain Fleischer lors du vernissage et ce dernier nous a fait l’honneur de revenir sur ses œuvres. Visite guidée.

Alain Fleisher
Alain Fleischer entouré des commissaires d’exposition Philippe Séréno et Jean-Luc Monteroso, et de Ricardo Vazquez, directeur de l’HDA Var ©M.P.

La première salle rend hommage à Danielle, l’épouse, la complice et la collaboratrice de nombreux travaux car c’est à elle que l’artiste dicte tous ces livres. Le cinéma est au centre de ces œuvres avec  un montage d’extraits de trois films complété par des photographies. Autre objet phare de l’exposition, l’installation « Autant en emporte le vent » date des années 1980 et montre la projection d’un visage sur un ventilateur avec cette idée du mouvement qui est incertain. Nous ne savons pas si l’image bouge car cela est filmé et que les cheveux sont pris au vent ou bien si c’est l’écran qui est en mouvement. En se mouvant autour de cette installation, nous nous rendons compte que le regard et la partie centrale bougent alors que le reste est immobile.

L’âme du couteau © Alain Fleischer

Ensuite, le parcours nous emmène vers des photographies anciennes, provenant principalement de la collection de la Maison Européenne de la Photographie (MEP). Saluons le travail exemplaire de son directeur durant vingt-deux ans, Jean-Luc Monterosso qui a non seulement constitué une belle collection des œuvres d’Alain Fleischer mais l’a aussi accompagné dans sa création. « Cette série sur l’argenterie est basée sur l’idée qu’on utilise quotidiennement des objets fabriqués dans des matières réfléchissantes, le métal, l’inox, qui chacun d’eux renvoie une image à son utilisateur avec une déformation qui lui est propre » explique Alain Fleischer, comme cette photographie montrant le reflet d’un visage féminin dans un couteau. Une idée liée à son enfance « lorsqu’à  l’heure du thé chez ma grand-mère, je regardais son visage se déformer dans la théière. » Les autres photographies exposées dans cette salle ont été réalisées en Italie lorsque l’artiste était pensionnaire à la Villa Médicis à Rome. Des cadres en miroir sont utilisés afin de jouer sur l’image et son reflet, un jeu de champ et de contre-champ composé avec finesse et intelligence et qui brouille les délimitations des différents plans.

Alain Fleischer
Objets lumineux insolites ©M.P.

Le hall du rez-de-chaussée accueille des images inédites. « Elles reprennent un intérêt très ancien pour la lumière et la trace du mouvement de la lumière » commente l’artiste. « Vous avez des œuvres assez complexes du temps. Je crée des traînées lumineuses en faisant bouger des lumières et en les photographiant. Ces traces de lumière sont des dépôts de temps et de mouvement, contrariant l’idée que la photographie fige le réel. » En face, nous trouvons de petites lampes  dans des lieux improbables, de petites mises en scène construites avec des papiers d’orange, chaque papier devenant un abat-jour singulier. L’esprit inventif d’Alain Fleischer se poursuit dans la salle suivante avec une installation datant également des années 1980. « Le brise-glace repousse des miroirs flottants. Ces miroirs renvoient dans l’espace des images fixes, évoquant parfois des voyages exotiques comme ici avec ces planches de l’Encyclopédie. Les images fixes sont mises en mouvement par le miroir. Ainsi, ce sont des images qui bougent et qui sont redistribués par les miroirs. Cette pièce a une certaine configuration et elle peut être présentée différemment, déclinée sur différent modèles et types d’images. Du coup, on ne voit jamais la même image car les miroirs sont en perpétuel mouvement sur l’eau et l’analyse qui en est faite sans cesse remise en question. »

ALain Fleischer
Le brise-glace © M.P.

Alain Fleischer est un écrivain prolifique qui a écrit une cinquantaine d’ouvrage. Il était donc essentiel de rendre hommage à cet homme de littérature. Sur les murs de l’escalier de l’HDA Var sont inscrits les titres de ses productions. À côté, nous trouvons « L’escalier sous la mer » qui est un texte écrit sur des plaques de verre, disposé en forme d’escalier et qui décrit un escalier énigmatique qui descend sous la mer. La dernière marche donne sur un abîme vertigineux. « Le thème du texte est repris par son mode de représentation. Le texte s’enfonce physiquement dans une épaisseur aquatique  » précise l’artiste.

Alain Fleischer
L’escalier sous la mer © Alain Fleischer

Le parcours du rez-de-chaussée se clôt avec l’installation « Bout à bout ». « Dans les années 1970 » raconte Alain Fleischer, « j’ai voulu utiliser des vêtements ayant appartenu à des proches: ma mère, ma sœur, ma grand-mère … J’ai prélevé dans ces vêtements, une bande de 35 mm de large symbolisant le cinéma et j’en ai fait un bout à bout. Au cinéma, on appelle « bout à bout »  l’ensemble des plans tournés pour le premier montage après un tournage avant de procéder aux raccords. J’ai donc mis « bout à bout » ces tissus et je les ai déroulés en Normandie, de la maison familiale jusqu’au cimetière où est enterré ma grand-mère. Ensuite, je les ai filmé en super 8. J’avais donc un bout à bout de bout à bout. Le film s’est perdu et l’an passé, j’ai repris cette pièce en y ajoutant d’autres morceaux de vêtements et je l’ai déroulé dans mon environnement actuel en Italie. C’est un projet très autobiographique, il n’y a pas de bande-son et je suis le seul à savoir à qui ont appartenu ces tissus. J’envisage un jour d’en mettre une qui nommerait ces tissus. »

 

Alain Fleischer
L’homme dans les draps © Alain Fleischer

L’étage nous accueille avec des photographies plus complexes, nées d’énigmatiques compositions.  « L’Homme dans les draps » est une série d’images montrant l’apparition d’un profil d’homme dû à l’ombre portée des plis aléatoires d’un drap. Une apparition comme une ombre chinoise. C’est en fait la somme des obstacles provoqués par les plis du drap opposés à la lumière qui donne ce résultat.  Réalisée à Rome à un moment précis de l’année, le film qui l’accompagne montre le processus de formation et de déformations de ces ombres. En face se tient une bibliothèque en verre. Aucun livre ne figure sur les étagères mais à leur place, nous avons des textes gravés et leurs ombres portées. Ces mots définissent ce que les ouvrages racontent, que tout est toujours compris entre une première et une dernière fois, sachant qu’on peut toujours identifier la première fois mais jamais la dernière.

 

 

Alain Fleischer
Je ne suis qu’une image_dague © Alain Fleischer

L’installation « Et pourtant il tourne » a été présentée à la Biennale de Paris en 1980« Ce tourne-disque est une illusion. Il a été filmé à l époque où il fonctionnait et je lui redonne vie en projetant le film dessus, ce qui signifie que l’objet est réanimé par le souvenir. J’ai beaucoup travaillé sur l’ illusion et la projectibilité.  On pense qu’un disque tourne mais en fait il n’en est rien et on entend la voix raillée de cette femme qui dit : « Je ne suis qu’une image. »

Alain Fleischer
Et pourtant il tourne © Alain Fleischer

 « Aussi, je savais depuis longtemps qu’ un son au cinéma devient une image. La bande sonore est une ondulation. J’ai donc transposé le signal optique du son « Je ne suis qu’une image » de support en support: lampe, livre, arêtes de poisson … Ma prochaine étape sera un lecteur optique qui lira le signal du poisson. A travers ce travail, j’interroge : qu’est ce qui persiste dans une image? »

 

Alain Fleischer
Happy Days ©M.P.

Dans la salle suivante, nous retrouvons cette notion chère à l’artiste : celle de contredire l’idée de fixité et de temps à la photographie. Les images de la série « Happy Days » sont réalisées ainsi: «  Une reproduction d’un tableau célèbre se reflète dans un miroir tiré par un jouet. L’appareil argentique capte le reflet de la reproduction lors d’une pose longue. Ces images sont un dépôt de temps et de mouvement. Elles n’ont jamais existé à l’œil nu. Cette image est la trace de ce processus. » Intrigante, la série « La Nuit des visages » reprend l’intérêt de l’artiste pour l’image projetée. La photographie est l’instantanée de quelque chose qui l’instant d’après a disparu. La photographie possède donc ce pouvoir de reconvoquer le présent. Ici, les visages proviennent de médaillons de cimetières romains. « Je redonne vie à ces beaux visages féminins en les « promenant » dans des lieux romantiques comme un bord de mer. J’aime aussi l’idée que je crée de la fiction en mettant en rapport ces personnes et des sites en ne sachant pas si elles y sont allées  » explique l’artiste.

Alain Fleischer
Nuit des visages © Alain Fleischer

« L’apparition du monstre », installation vidéo visible dans la grande pièce de l’étage,part du constat que le cactus est victime d’un phénomène de cristation et de fasciation que les scientifiques n’expliquent pas. « Comme si un contre-programme venait perturber le développement normal de la plante. J’ai développé un algorithme reprenant ces deux processus amenant à la monstruosité et je les ai appliqués à divers objets: un fauteuil, un ventilateur, un serpent ou encore une tour médiévale, en interrogeant l’aberration morphologique. » Enfin, nous voyons dans la dernière salle qu’être gourmand amène parfois à des idées artistiques. La preuve avec les « Papiers d’argent », une série sur l’empreinte des choses. Le papier des tablettes de chocolat permet de garder en mémoire un relief. Cette empreinte est reportée sur le papier argentique. Nous retrouvons aussi des images formées avec des autoportraits de l’artiste. Un artiste qui embrasse toutes sortes de disciplines artistiques et qui aime jouer avec l’image: apparition/disparition, souvenir/réalité, animé/immobile, un univers joliment naïf, une confrontation des espaces et des temps qui rythment la vie.

Alain Fleischer
L’apparition du monstre © Alain Fleischer

Jusqu’au 24 juin 2018

Alain Fleischer- Je ne suis qu’une image

Hôtel Départemental des Arts – Centre d’Art du Var

236 Boulevard Maréchal Leclerc

83000 Toulon

Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h

Entrée libre

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