Art de la table en France du XVIIe siècle à nos jours HDE Var

art de la table
Marlène Pegliasco
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[Draguignan] Quoi de plus représentatif de la France que sa gastronomie, les arts et la table, et toute la sociabilité qui en découle. Savoir-faire et savoir-être s’invitent  à la table de l’Hôtel Départemental des Expositions du Var de Draguignan dans une exposition qui nous ouvre l’appétit sur les métiers d’art français : « La table, un art français, du XVIIe siècle à nos jours ». Repartie sur trois niveaux, spectateurs et dîneurs sont invités à découvrir l’évolution des usages et la création d’objets dans un quotidien rythmé par les styles, les découvertes, et l’essor des techniques industrielles. Les goûts autant gastronomiques que mobiliers font écho à l’évolution de la société française. Foisonnant, chaque niveau présente une scénographie propre à  chaque période avec vitrines et tables dressées. À consommer sans modération.

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Souper du prince Louis François de Conti, palais du Temple, 1766
Louis-François de Bourbon (1717-1776), prince de Conti MV3825 Ollivier Michel Barthélemy (1712-1784) Localisation : Versailles, châteaux de Versailles et de Trianon* Photo © RMN-Grand Palais (Château de Versailles) / image RMN-GP

Le premier niveau nous plonge dans le XVIIIe siècle et l’intérêt croissant pour cette pièce appelée désormais « salle à manger ». Le service à la française se codifie : installé dans un siège autour d’une table, le convive se sert et un verre lui est tendu par un domestique quand il ressent l’envie de boire. Le repas est un spectacle vivant par le jeu des mets, des récipients et des objets de décoration aux effets théâtraux comme cette fontaine représentant Léda et le cygne, de la Manufacture Cyfflé, servant aux ablutions et dont les machineries montrent toutes les facéties dont l’époque des Bourbons était friande.

Les objets de table prennent leur importance : bougeoirs, surtouts et personnages en biscuits qui vont ainsi contribuer à magnifier le développement de la Manufacture de Sèvres et de la Manufacture de Vincennes. Le centre de la table devient à la fois une pièce utile et spectaculaire : pots à épices, salière et poivrière, mais c’est le surtout qui devient la pièce maîtresse d’une table qui s’anime, évoquant les automates de l’époque médiévale. Dans ce domaine, l’artiste Jules-Aurèle Meissonnier en est le maître incontesté. Ses modèles résultants de formes organiques sont typiques de l’art rocaille de la première moitié du XVIIIe siècle. La table est une vraie nature morte où le convive se délecte autant d’huîtres que de potage de tortue, servie dans sa soupière. Car enfin, au  XVIIIe siècle, on sert un met dans un objet le représentant.

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Projet de surtout , eau forte, Jules-Aurèle Meissonnier, Paris, 1735, Bibliothèque du musée des Arts décoratifs, Paris.
Terrine en forme de conque, faïence stannifière à décor de petit feu, Manufacture Jean-Gaspard Robert, Marseille, XVIIIe siècle, Musée des Arts décoratifs, Paris

Avec l’apparition des traités de gastronomie et la consommation de produits exotiques, c’est tout une nouvelle vaisselle qui apparaît afin de se délecter de ces saveurs raffinés : pot à ouille, rafraichissoirs, pot à épices, tasse pour le chocolat chaud, théière et aiguière pour se laver les mains à table… Un pain de sucre dans son enveloppe originelle nous rappelle l’importance de son commerce. Enfin, les maîtres porcelainiers dévoilent la finesse de la matière dans les assiettes mais également dans des petits objets qui se transforment en pot pourri afin de parfumer la pièce.

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Surtout de table, première moitié XVIIIe siècle, Manufacture Hannong © Musée des Arts Décoratifs de Strasbourg. Photo Musées de Strasbourg, M.Bertola

Le néoclassicisme fait le lien entre XVIIIe et XIXe siècle. Les fouilles de Pompéi et d’Herculanum redonnent un souffle au goût antique. Un plat à œufs, confectionné par la Maison Christofle qui commence à prendre son importance, est directement inspiré d’un modèle du  trésor d’Hildesheim. Les motifs à la grecque et la décoration animalière se répandent sur les couverts, accessoires qui se multiplient après La Révolution. La ménagère deviendra le cadeau de mariage par excellence. Celle exposée au second étage ne pèse pas moins de 90 kilos ! La diversité des styles inspire l’univers des maîtres d’art. Une superbe vitrine expose plusieurs modèles de tasses et soucoupes, montrant le raffinement dont savait faire preuve les manufactures du pays. La table en l’honneur des mariés est dressée et les verres prennent enfin place sur la table. Du verre à champagne au verre à liqueur, chaque convive pouvait avoir jusqu’à 7 verres à sa disposition. Après le triomphe de la rigueur classique, les lignes ondulées et floraux de l’Art Nouveau insufflent une nouvelle créativité comme le montre ce beau pichet représentant Le Renard et la Cigogne, d’après la fable de Jean de La Fontaine, dessiné par Émile Gallé.

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Porcelaine dure à décor de grain de riz polychromes Manufacture Pouyat 1900 Musée Adrien Dubouché Cité de la céramique, Sèvres et Limoges Photo © Nicolas Lacroix Département du Var

Si la décoration de la table se simplifie à l’orée du XXe siècle, il n’en reste pas moins majestueux. En atteste cet élégant et imposant surtout Dauphin fabriqué par la manufacture Christofle pour les pièces métal et par la maison Baccarat pour le cristal. La thématique du dauphin est un éternel clin d’œil à l’art français classique. La société se transforme et se modernise : apparition du gaz et de l’électricité, disparition des domestiques et l’art de la table, en toute intimité dans une salle à manger privée, se dote de mondanités. La société française travaille et négocie ses affaires au restaurant. La classe bourgeoise voyage et se retrouve dîner dans le luxe du Normandie dont une table de la premier classe a été reproduite au troisième étage. Les lignes épurées de cette vaisselle sont également présentes dans le service des passagers du Concorde.

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Surtout Dauphin, bronze argenté, verre Luc Lanel (1893-1965), Louis Süe (1875-1968) et André-Charles Mare (1885-1932), société Christofle, 1925, musée des Beaux-Arts, Grenoble

Enfin, le design transforme encore une société en plein changement. Les objets vont presque disparaître pour ne garder que des prototypes que les artistes vont repenser en renouvelant les formes et les utilisations. Le surtout Les Ruines d’Egypte d’Anne et Patrick Poirier pose la question du basculement entre art décoratif et art statuaire, tout en gardant le traditionnel biscuit blanc et émail bleu, typiques de la manufacture de Sèvres. Le facétieux Philippe Starck  transforme un simple presse-citron en pieuvre géante tandis qu’Arman décide de « jeter la vaisselle dans l’évier ».

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Arman. As in the sink : Comme dans l’évier, 1992. ADL11385 Arman (dit), Fernandez Armand (1928-2005) – © ADAGP, Paris Localisation : Limoges, musée national Adrien Dubouché Photo © RMN-Grand Palais (Limoges, musée national Adrien Dubouché) / Jean-Gilles Berizzi

Au fil des étages, nous pouvons noter l’évolution de l’assiette, cet objet si familier et aussi étonnant qu’émouvant. Aristocratique comme l’assiette bleu du service du prince de Rohan, asymétrique pour l’assiette du service Marseille ou japonisante pour le service Parisien, des motifs floraux d’inspiration art nouveau dans le service du céramiste Félix Bracquemond , chicissime pour le service du Fouquet’s ou du Ritz club, symbolique avec ce coq fauviste du peintre Kees Van Dongen ou simplement commémorative avec l’assiette Le Bleuet évoquant l’engagement de la Première guerre mondiale : l’assiette est le fil conducteur de cette exposition qui met en avant tout le savoir-faire des manufactures françaises, leur héritage et leur persistance dans notre monde actuel, avec un soin particulier apporté au renouvellement des formes et des détails.

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Kees Van Dongen Assiette à dessert : Coq – Porcelaine dure. Manufacture L. Bernardaud et Cie, Limoges. Entre 1937 et 1947. Photo © RMN-Grand Palais (Limoges, musée national Adrien Dubouché) / René-Gabriel Ojéda © Van Dongen : © Adagp, Paris, 2021

L’exposition rappelle que le repas au XVIIIe siècle s’enracine dans un cadre social. C’est autour d’une table que sont nées les idées révolutionnaires. Moment de société majeur au XIXe siècle, la notion de repas est incontestablement liée à nos modes de vie et indéniablement, tous ces objets suivent l’évolution des techniques et des matières à l’image de la théière de Laureline Gaillot réalisée par impression 3D.

Le repas gastronomique français a été récemment inscrit par l’UNESCO dans la liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité, une reconnaissance qui montre toute l’importance de ce savoir-vivre et de ce savoir-faire. Avec 440 pièces venues de toute la France et prêtées par une trentaine de musées et collections privées, cette exposition illustre les propos de Rabelais : « Se nourrir est un besoin, savoir manger est un art ».

Jusqu’au 6 mars 2022

La table, un art français. Du XVIIe siècle à nos jours

HDE VAR – Hôtel des Expositions du Var

1, Boulevard Maréchal Foch

83300 Draguignan

Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 19h

Catalogue d’exposition réalisé par les commissaires d’exposition Chantal Meslin-Perrier et Pierre Provoyeur

Avec le soutien du Département du Var

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