Au But, la pièce de Thomas Bernhard en représentation au Liberté

aubut
Marlène Pegliasco
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[Toulon] "J'entends la mer  et ce sont les bravos le bruit de la mer ce sont les applaudissements à votre pièce, vous êtes au but Monsieur"

Quel but? Sommes-nous un jour arrivés au but? De notre métier, de nos relations, de notre vie? Existe-t-il un but dans la pièce de l'autrichien Thomas Bernhard? Depuis trente-trois ans, à date fixe, une mère et sa fille obéissent à un rituel immuable : elles partent pour leur maison au bord de la mer à Katwijk, en Hollande. Voici le but de leur année, celui de retrouver cette villégiature en y espérant passer un séjour agréable et heureux. Mais cette année, elles dérogent aux habitudes en invitant un auteur dramatique, dont elles ont vu il y a peu la pièce, à les accompagner. La fille a été enchantée de la pièce "Sauve qui peut" alors que la mère a été sceptique puis l'a chaleureusement félicité. Enfin, sur un coup de tête, elle décide de l'inviter avec elle à Ktawijk.

au but

"Une heure entière sur les acteurs et pas une seule fois il n’a pensé à moi, que je suis vieille et entends mal et qu’au fond rien ne m’intéresse plus en tout cas pas l’art dramatique en tou cas pas le théâtre […] Je n’ai pas résilié notre abonnement et maintenant voilà les conséquences ce n’est plus qu’une habitude il y a longtemps que nous n’aimons plus le théâtre nous faisons semblant de l’aimer, nous le haïssons par ce qu’il est devenu pour nous une habitude et nous nous haïssons nous-mêmes quand nous y allons avant même que ce soit commencé, nous avons tout compris […] Nous voyons quelque chose que nous ne pardonnons pas que nous haïssons et puis nous applaudissons, je n’avais d’abord pas applaudi je n’ai pas pu faire autrement mais ensuite quand nous sommes sortis du théâtre j’ai eu honte j’applaudissais quelque chose d’éhonté et puis ce visage arrogant ".

A travers les long monologues de la mère paraît un caractère morose, inculte, cynique et cruelle, qui déteste tout et refuse tout. Sauf celui d'imposer sa voix et de se raccrocher à l'existence à sa fille, jusqu'à l'étouffement mutuel. "La mère qui serre son enfant contre elle et ne la laisse plus partir jusqu’à ce qu’elle étouffe […] Mon occupation favorite la torture infligée à soi-même en te torturant en te défigurant depuis des dizaines d’années, je me suis moi-même défigurée dans l’amour tu comprends enchaînées l’une à l’autre dans l’amour dans l’amour maternel vrai mon enfant […] La mère ne veut pas donner son enfant elle l’enchaîne à elle et ne la lâche plus et si elle s’arrache à elle elle est punie de mort l’arrachement est suivi de la peine de mort tu me comprends n’est ce pas ? Tu es faite pour moi je t’ai mise au monde pour moi tu n’es pas Richard (le bébé qui est mort) qui a échappé tu es pour moi pour moi toute seule tu ne doutes tout de même pas que tu m’appartiennes à moi seule rien qu’à moi seule tu m’appartiens de la tête aux pieds".

Portée par Dominique Valadié, le personnage de la mère cynique et blessante dévoile dans ses longues tirades où rien n'existe sauf ses propres paroles, la question du "but" sur les choses de l'existence.  A la manière d'un "A quoi bon"? Une mise en abîme aussi où l'auteur se représente lui-même, incarné par Yannick Morzelle, formidable en auteur dramatique fier et sûr de lui. Le seul qui arrive -un temps- à tenir une conversation avec cette mère si incohérente, si folle!

 

La mère: "Vous mettez aussi à vos personnages une épouvantable camisole à tous vos personnages et ils ne peuvent pas enlever leurs camisoles comme vous qui avez enlevé votre camisole vous enfermez tous vos personnages dans d’épouvantables camisoles".

L’auteur : "En effet, ce sont des camisoles d’épouvantables camisoles où j’enferme mes personnages mais en fait ils s’y glissent volontairement ce sont des acteurs […] Au dernier moment tous ces personnages glissent hors de leur camisole avant d’être étouffés jamais encore un acteur ne s’est étouffé dans la camisole que l’auteur lui a mise la camisole mortelle non".

La pièce est forte de ces interrogations et de l'image de cette femme, aigrie, dont les longs monologues révèlent une philosophie crue de l'existence: "Mais nous ne vivons qu’en questionnant nous n’existons qu’en questionnant bien que nous sachions que nous ne recevons pas de réponse nous ne recevons pas de réponse, qui puisse être acceptée par nous c’est bien çà[…] A la fin de la vie nous constations que nous n’avons toute notre vie que poser des questions mas pas reçu une seule réponse […] Mais nous recommençons toujours à nous faire des illusions, nous ne croyons pas que tout soit aussi désespéré que tout soit si mauvais alors que ce n’est que mauvais pensez-vous que tous soient morts de çà parce tout est si mauvais parce la nature est si mauvaise."

Quant à la fille, jouée par Léna Bréban, elle est inexistante, oubliée, démolie par une mère possessive et oppressante. Mais finalement, serait-ce elle qui aurait trouvé la réponse à ces pensées obscures? "C’est toujours quelque chose de nouveau, c’est toujours entièrement nouveau si nous en avons la volonté si nous voulons voir le nouveau".

Au But de Thomas Bernhard
Représentation au Liberté jusqu'au 09 décembre à 20h.
Mise en scène: Christophe Perton
Avec Dominique Valadié, Léa Bréban, Yannick Morzelle et Manuela Bertrand.
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