Eleonora Strano, photographe du monde fragile

eleonora strano
Marlène Pegliasco
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Il y a des combats qui nous habitent. Celui de défendre la vie, la nature, l’être humain. Un unique ensemble qui nous appartient et dont le photographe capture le témoignage. Un ensemble fragile dont le point de basculement vers les ténèbres semble être imminent.

Elle a 42 ans et habite à Nice. Riche d’une identité multi-culturelle, un père italien, une mère française, la photographe Eleonora Strano saisit les instants d’un monde où la vie se révèle dans sa plus grande fragilité. Lauréate de la sélection du concours Photographie du 37ème Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Mode de Hyères, qui se tient du 13 au 16 octobre, Eleonora présentera au jury –et au public- la série Ex Materia, réalisée dans le sud-est de la France, territoire cher de son enfance. Rencontre.

©Eleonora Strano

Eleonora, quelques mots sur votre parcours photographique ?

Je photographie depuis toujours mais je me suis professionnalisée il y a dix ans grâce au tremplin de l’EMI CFD. Puis en 2020, j’ai passé le diplôme de l’École de Photographie d’Arles. Je vis actuellement à Nice où je collabore avec la presse, les institutions de la Photographie et l’Université Côte d’Azur. Il y a une dizaine d’années, j’ai réalisé une série documentaire au Turkménistan, A Turkmen story. En y restant trois ans sur place, j’ai eu la chance d’entrer dans une communauté et d’avoir accès à l’intimité des personnes photographiées. De plus, j’ai pu travailler autant l’argentique que le numérique.

©Eleonora Strano

Vous présentez la série Ex Materia au Festival de Hyères. Dites-nous en plus sur ce projet.

Mon travail part d’une question laissée sans réponse : quel a été l’impact du nuage de Tchernobyl en France? J’ai exploré un territoire dans le Sud-Est de la France avec en tête les retombées du nuage radioactif. Entre document et fiction, j’ai imaginé une vision de ces lieux imprégnés de la présence invisible de la radioactivité. En réalisant des portraits d’habitants et de la nature émerge un ballet entre végétal et humain. La peau, la roche, la végétation ne forme qu’une seule et même enveloppe. La force de vie est comme une danse prête à basculer sur une fausse note –ici à cause du nucléaire. Cette force à la fois créatrice et destructrice s’exprime également dans le titre même de la série qui est une opposition à Ex Nihilo, qui est créé à partir de rien, au contraire, Ex Materia est ce qui vient de la matière et donc est une référence à la matière, à l’énergie atomique. C’est aussi, par extension, la matière dont est faite le papier photographique et où existe une présence sombre, une atmosphère surnaturelle un peu inquiétante. Dans cette vallée riche d’un écosystème exceptionnel, je matérialise la radioactivité avec des scintillements. Ainsi la radioactivité apparaît par petites taches. C’est à la fois beau et dangereux.

©Eleonora Strano

Comment avez-vous envisagé ce travail ?

Pour cette série, j’avais déjà imaginé mon travail, pensé les images en amont, tandis qu’au Turkmenistan, je photographiais sur le vif. J’ai d’abord pensé dégrader des négatifs pour figurer la dégradation lié au nucléaire, mais j’ai vite trouvé cela trop littéral, et puis, je suis tombée sur le travail de Robert Adams : Our Lives and Our Children qui montre des personnes sortant d’un supermarché se trouvant à proximité d’une centrale nucléaire aux États-Unis. On sent cette présence sombre sans voir directement l’objet de la menace et cela m’a inspiré. Cette tension et cette présence invisible dans les images d’Adams qui m’ont ouvert une nouvelle direction de travail.De plus, le choix du noir et blanc s’imposait comme une dualité entre ombre et lumière. Ex Materia a nécessité deux ans de travail. J’ai pris le temps et ensuite j’ai procédé à une grosse sélection des clichés. Mon but était de dérouler un fil et de montrer les limites de l’anthropocène. Nous sommes confrontés à de multiples changements, climatiques, énergétiques, dont l’impact sur les habitants est bien réel.

©Eleonora Strano

Que représente pour vous la participation au Festival de Hyères ?

Ce festival est prestigieux et représente l’opportunité d’ouvrir ma pratique au champ de la mode et du design. Depuis quelques années, j’aborde un virage plus plastique dans ma pratique et j’espère que ma participation à ce festival sera un tremplin pour établir de nouveaux contacts, de nouveaux partenariats ou tout simplement rencontrer et échanger avec des professionnels de milieux différents. J’espère que le jury ainsi que les visiteurs apprécieront mon travail. La scénographie d’Ex Materia a été conçue pour former une oscillation, un battement de cœur. Il existe une véritable chorégraphie entre les images. Cette série porte également une sorte d’intemporalité, de nostalgie. Cela permet à chacun de s’approprier les images car le problème que je pose est universel et nous touche tous.

©Eleonora Strano

Quels sont vos prochains projets ?

Mes prochains projets seront tournés vers le costume, le paraître, le vêtement comme lien intergénérationnel. En ce qui concerne mon actualité, j’expose actuellement au 109 à Nice, dans le cadre du Festival L’image Satellite, une série sur le biocontrôle, qui est une commande de l’Université de Nice, de la Villa Arson, et de l’Académie 5. C’est un dialogue visuel avec les travaux de la chercheuse Aura Parmentier Cajaiba autour de son projet Chavabio pour lequel j’ai utilisé, entre autres, des techniques photographiques anciennes. Je suis également intervenue sur les images en les cousant afin de symboliser la frontière entre biocontrôle et agriculture de masse. Enfin, je fais partie des 100 premiers candidats retenus pour la grande commande photographique « Radioscopie de la France » pilotée par la Bibliothèque Nationale de France sur proposition du Ministère de la Culture. J’ai choisi l’île de Saint-Pierre-et-Miquelon où j’ai passé quelques années durant mon enfance. Je photographie un village qui fait face aujourd’hui à la montée des eaux. J’ai réalisé des portraits des habitants sur des polaroids que j’immerge afin de laisser place à des paysages abstraits. Une installation prévoit de mélanger images documentaires et tissus représentant ces paysages abstraits. Le résultat de ce travail sera montré en 2024 à la BNF.

©Eleonora Strano

37ème Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Mode

Villa Noailles

Montée de Noailles, 83400 Hyères

Concours du 13 au 16 octobre 2022

Expositions jusqu’au 27 novembre 2022

Plus d’informations ici

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