Elsa & Johanna: un duo de photographes nominé au Festival de Hyères.

34e FIMPAH
Marlène Pegliasco
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[Hyères] L’une est blonde, l’autre est brune. Comme deux entités séparées mais réunies par le même désir créatif, Elsa et Johanna composent à deux des images entre réalité quotidienne et état fantasmé. Elsa Parra est née en 1990 à Bayonne et Johanna Benaïnous en 1991 à Paris. Elles se sont rencontrées en 2014 et quand elles ont fait le choix de travailler ensemble, elles ont décidé de se glisser dans la peau de personnages fictifs, créés de toute pièce à partir de leur observations de la société et de leurs souvenirs. Travestissement, affirmation d’un autre soi, à la fois modèles et photographes, les photographes plasticiennes se font connaître grâce à la série « A couple of them » (2014-2016, France-Usa), un travail de 88 portraits et d’une vidéo de 30 min, entre récit et autobiographie. Après avoir participé au 61e Salon de Montrouge en 2016, remporté le 2e Prix Picto de la mode en 2017, on les retrouve au Mac Val à Vitry-sur-Seine  jusqu’au 25 août 2019 dans l’exposition « Lignes de Vie, une exposition de légendes », autour d’une proposition de Franck Lamy sur la capacité des artistes à écrire des récits en partant d’une identité propre. Nous les retrouverons ensuite au Kunstwerk Carlshütte de Büdelsdorf en Allemagne dans l’exposition collective « Some of us – 200 artistes de la scène émergente française depuis 1999 » invitées par Jérôme Cotinet-Alphaize et enfin en mars 2020 pour un solo show à la Volta Art Fair de New-York avec la galerie La Forest Divonne. En attendant, c’est sous le soleil azuréen qu’elles ont rendez-vous puisqu’ Elsa et Johanna sont finalistes du 34e Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Mode de Hyères qui se tient à la Villa Noailles du 25 au 29 avril 2019.

Elsa et johanna
Soulmates, série Beyond the shadows 2018-2019 ©Elsa & Johanna

Marlène Pegliasco : Votre duo est-il une évidence ?

Elsa et Johanna : Nous nous sommes rencontrées en 2014 lors d’un échange scolaire à New-York à la School of Visual Art. C’est dans cette ville que notre amitié et nos projets sont nés. Durant 6 mois, nous avons vécu des moments inoubliables, de créations et de partage intenses. Nous échangions continuellement nos idées, nos observations, nos souvenirs, nos impulsions. Dès notre retour à Paris, nous avons commencé la série « A couple of Them » puis nous sommes vite reparties à New-York pour la continuer. C’était une façon de prolonger le bonheur qu’on avait connu dans cette ville durant notre échange. Cette succession d’allers-retours entre Paris et New-York a forgé notre relation et nous a donné l’envie profonde de former un duo d’artistes. “A Couple of Them” en a d’ailleurs été le projet fondateur car il a officialisé notre collaboration en devenant notre projet de diplôme commun (Art déco / Beaux-Arts).

Elsa et johanna
Purple hair and green, série Beyond the shadows 2018-2019 ©Elsa & Johanna


M.P. : New-York a été une vraie inspiration !

E.&.J. : Cela a joué effectivement. Il y a eu une vraie émulation, une vraie stimulation. L’enseignement était très enrichissant mais c’est la ville qui nous a le plus inspiré. Nous avons vécu ce voyage de manière très intense visuellement parlant. C’est la vie au quotidien, notamment dans les quartiers de Brooklyn, qui a nourri notre première série commune. Dans l’exposition « Rosarium -c’est le soleil qui finira par nous perdre » qui s’est tenue récemment à Mains d’œuvres à Saint-Ouen, nous avons présenté un ensemble de photographies issues de notre dernière série « Beyond the shadows » réalisée à Calgary au Canada. Ce projet autofictionnel est en quelque sorte la prolongation de “A Couple of them” , une multitude d’identitées fictives que nous avons joué et performé pendant 2 ans.

M.P. : Comment travaillez-vous ?

E.&.J. : Pour « Beyond the shadows », nous avons d’abord présélectionné les lieux dans lesquels nous voulions faire nos photographies depuis la France. Le décor joue indéniablement sur la construction de nos personnages et sur la mise en scène. Sur place, nous achetions tous les vêtements dans des « Thrift shops », magasins de seconde mains locaux, pour ensuite élaborer des identités qui nous semblaient pouvoir vivre dans les lieux préalablement choisis. Nous avons ainsi imaginé et performé une quinzaine de duo aux histoires différentes. Ces photographies peuvent se lire comme des extraits de films, des explorations intimes et psychologiques. Dans « A Couple of Them », nos personnages étaient plutôt photographiés dans la rue ou des espaces publics. A contrario, à Calgary, il y a de nombreuses prises de vue en intérieur, dans des décors plus intimes, plus privés, souvent révélateur de la personnalité des personnages. Il existe souvent une différence entre la projection idéale que l’on se fait sur nos personnages et la réalité de l’environnement, aussi nous ne pouvons pas suivre de scénario préparé à l’avance. Un scénario est pensé en amont, et raconte une histoire qui ne peut pas trop sortir du cadre qu’il lui est défini. Nous aimons les contradictions, se dire que finalement tel personnage ne fonctionne pas dans tel décor, switcher les styles, jouer sur les vêtements, modeler nos idées afin que ça finisse par marcher. C’est cet aspect instinctif, la subtilité du moment présent qui rend nos personnages uniques, fragiles, et qui positionne toujours notre propos dans un “entre-deux” qui nous intéresse et qui rend ces moments de création exaltants !

Elsa et johanna
Their type of thing II, série Beyond the shadows 2018-2019 ©Elsa & Johanna
Pour ce qui est du médium, nous shootons en numérique et en argentique, selon la nature des images que nous recherchons et du projet. La phase de sélection des clichés représente aussi une grande partie du travail. L’essentiel est de choisir la photographie juste où l’émotion est suffisamment juste pour faire basculer l’image dans une autre dimension, une autre réalité. Nous produisons la plupart du temps des images en série assez conséquente, c’est notre façon de raconter des histoires. Mais après 2 ans consacrés au projet « A Couple of Them », il nous était nécessaire de produire des séries plus courtes, plus légères. Quant à notre manière d’échanger nos idées, nous sommes très connectées, nous avons souvent la même vision des choses, nos idées et histoires se recoupent toujours d’une façon ou d’une autre. On a l’habitude d’autoréférencer nos personnages et nos séries pour communiquer et développer de nouvelles narrations qui sont d’ailleurs parfois inspirées de personnages que nous avons déjà créé auparavant. Ces derniers peuvent évoluer et passer d’une série à l’autre. Ce fut le cas par exemple pour le personnage « El Chico » de la série « Los Ojos Vendados » qui se voit ré-interprété en « Chico » dans le moyen-métrage « Tres Estrellas ». Quelque chose de particulier émanait de ce personnage, il nous a touché nous avons eu envie de le projeter à nouveau, dans un autre espace-temps.

M.P. : Votre succès est grandissant depuis 4 ans. Comment gérez-vous votre notoriété ?

E.& J. : Nous n’avons pas été tout de suite en lien avec les galeries. Après notre diplôme, nous avons pris le temps de développer et de construire notre univers et notre langage. En parallèle de la photo, nous avons approfondi notre pratique du film en faisant plusieurs clip vidéos, c’est un format super ludique et créatif. On a aussi beaucoup candidaté pour des bourses, des concours et des festivals, ce qui nous a permis progressivement d’avoir de la visibilité. Tous ces évènements nous ont permis de rencontrer beaucoup de monde et ont été nos premières vraies expériences de contact avec le public. C’est vraiment très formateur et il faut savoir jouer le jeu à fond. Ces différentes expositions et prix nous ont notamment permis de rencontrer la Galerie La Forest Divonne qui nous avait découvertes à l’exposition “Félicita” en 2016 au Palais des Beaux-arts, et l’agent Carole Lambert, qui nous représente tous les deux aujourd’hui. Nous sommes ravies d’être finalistes du Festival de Hyères cette année, nous savons que nous ferons encore de superbes rencontres à cette occasion !

M.P. : Pourquoi avoir choisi la photographie comme mode d’expression artistique ?

E.& J. : Nous avons toutes les deux commencé la photographie à l’adolescence en autodidacte, chacune à notre manière entre autoportrait et autofiction. C’était une forme d’expression accessible et immédiate et c’est sans doute ce qui nous a plu à l’époque où nous avons commencé. C’était aussi un moyen de communiquer, et dieu sait qu’à l’adolescence, nous en avons besoin ! La photographie a ce côté magique, cet effet miroir, ce modelage de la réalité. La mise en scène nous pousse à construire des scénettes théâtrales qui rendent ces moments excitants, imprévisibles, maîtrisables jusqu’à une certaine limite… C’est en tout cas un mode d’expression qui a été pour nous deux une évidence. Nous considérons que nous travaillons plus l’autofiction que l’autoportrait, car bien que les personnages que l’on performe soient tous des possibles de nous même, il n’est jamais question de nous auto-représenter. Avec le temps, on se rend compte que c’est un équilibre à trouver : regarder en nous pour enrichir la psychologie de ces figures fictives et piocher dans l’imaginaire collectif pour que ces personnages parlent à la mémoire individuelle de chacun. C’est sans doute pour ces raisons que le projet “ A Couple of Them” a rencontré un certain succès, parce que sa valeur anthropologique touche de façon différente et personnelle la mémoire de chacun. C’est ce qui nous anime en photographie.

Elsa et johanna
Tiny door série Beyond the shadows 2018-2019 ©Elsa & Johanna

34e Festival International de Mode, de Photographie et d’Accessoires de Mode de Hyères

Concours du 25 au 29 avril 2019

Expositions visibles jusqu’au 26 mai 2019

Villa Noailles

Montée de Noailles

83400 Hyères

Plus d’infos sur les photographes ici

Plus d’infos sur le festival ici

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