Gilles Boudot, 20 secondes de métamorphose

Marlène Pegliasco
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Nous savons tous maintenant que le confinement aura laissé des traces dans nos vies. Que ces deux mois où nous avons vécu isolés auront eu des conséquences sur le travail et les processus de création des artistes. Oui, le confinement a bel et bien inspiré ou impacté les démarches artistiques. Pour le photographe et galeriste Gilles Boudot, c’est une autre affaire puisque c’est un virage à 180% que l’artiste a entamé. Habitué à nous montrer des scènes narratives composées uniquement d’objets, Gilles Boudot s’est mis à explorer le corps et l’âme humaine dans une nouvelle technique inédite pour lui. Un « déraillement » qui lui réussit bien d’où naquit le projet « 20 sec ». Arrêt sur image.

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Planche 20 secondes @Gilles Boudot

« 20 secondes » a démarré au printemps 2020 durant le confinement. Une période où le moral était absent : « J’étais déphasé et vers le mois de mai, à l’approche du déconfinement, j’ai fait un inventaire de mes appareils. Je suis tombé sur un sténopé. Je n’avais jamais rien réalisé avec car la pose est longue et je ne voulais plus travailler à l’argentique. Mais j’ai été interpellé par le caractère primitif du procédé, ancien, à l’origine de la photographie. Je me suis interrogé également sur les sujets à faire, qui sortiraient des traditionnels paysages ou natures mortes. Après quelques montages et des essais, je me suis mis en scène et les premiers résultats me faisaient penser à la photo scientifique ou académique sous verrière. En retravaillant l’éclairage, j’ai obtenu l’atmosphère attendue. Et finalement, en discutant à la sortie du déconfinement avec mon entourage sur mon nouveau projet photographique, 5 personnes ont été intéressées pour poser. Tout cela en une semaine ! J’ai compris que j’allais entamer une série et qu’il fallait en tirer le fil».

Gilles Boudot établit un protocole de départ. Son principe est simple : dans une semi-obscurité, la personne expérimente en fait le protocole de pose du « modèle  vivant » en usage dans les ateliers. Se dévêtir et passer un peignoir jusqu’au moment de la pose dans le studio où l’attend le photographe. Pieds fixes mais buste en mouvement, le protocole impose sa loi au modèle qui se tient debout, en retrait ou en sortie de l’ombre. Dans ce cadre précis, la technique et les consignes de l’artiste assurent l’anonymat du modèle. Chacun vient librement participer à cette entreprise artistique mais aussi pour se révéler, oser, ou se voir différemment. Le travail de Gilles Boudot fait incontestablement penser à la photographie spirite, à cette manière de chercher les tréfonds de l’âme. Que reste-t-il de cette pose de 20 secondes ? Un être humain ? Un fantôme ? « Ce qui est certain, c’est que la personne n’est plus identifiable au sens que l’on donne au mot identité ».

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Planche 20 secondes @Gilles Boudot

Il est évident que ce travail tranche avec ce qu’on connait de Gilles. Changement de format, de style, de sujet. Le format vertical s’impose aux êtres humains dans un aspect flouté à l’opposé de la netteté de ses compositions horizontales d’objets. Dans son exposition de 2017 à la Maison de la Photographie de Toulon,  le spectateur avait été dupé par ses compositions qui, avec cocasserie, l’invitait à regarder différemment ces objets qui nous entourent. Puis en 2019 à la Galerie du Canon pour l’exposition des « Mocos » avec 30 portraits d’objets industriels, Les Ustensiles. Cet été, Gilles Boudot exposera une partie de son travail aux Photographiques de Saint-Nazaire. Quant aux clichés de « 20 sec », ils ne seront probablement montrés au public qu’en 2023.

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Les Ustensiles @Gilles Boudot

Une question traverse l’ensemble de ce travail : qu’est-ce-qui est montré et que voyons-nous? Les êtres d’humains ne sont-ils pas devenus des objets ? Finalement se pose la question de notre identité au-delà du physique, dans une société dominée par le visuel. «  Il y a cette idée, cette façon d’être au monde par la pose des personnes. Cette manière de se tenir nous est propre. Les visages sont effacées, les corps ne sont plus reconnaissables, il ne reste plus rien d’expressif si ce n’est que ce mouvement, ce comportement».

La série dénote un caractère universel. Sans pouvoir identifier le sexe, le genre, l’âge, avec le sténopé qui gomme les contours, les floute … Le sténopé révèle une trace existentielle, l’essence même de la nature humaine. « De  cette universalité émerge une idée forte : toute personne peut générer une belle image en dehors de son physique ».  Une notion bien saugrenue dans un monde rempli de photos retouchées, ou prises à travers des filtres, où les gens ont un mal fou à aimer leur corps, leur visage. Les sociétés modernes, soumises aux médias,  façonnent notre regard sur notre corps et nous empêchent de vivre en harmonie avec. Les gens se censurent. « 20 secondes » leur offre une fenêtre temporelle où leur être existe au-delà de toute contenance palpable.

Mais qu’ont en commun les 85 modèles ? 85 figures différentes comme autant de singularité dans un monde stéréotypé? Et ces gens qu’ont-ils appris sur eux-mêmes en posant dans le plus simple appareil ? Des personnes sont courageuses car elles acceptent la mise en scène dans une confiance réciproque. À la recherche d’une image, d’un scanner de leur moi.

D’un projet imprévu est née une série universelle, qui a reçu l’appui et la participation de nombreuses personnes. Et d’ailleurs, si vous êtes intéressés pour participer à l’aventure artistique « 20 secondes », vous pouvez contacter le photographe car la série est loin d’être complète ! Le photographe tire deux épreuves dont une est remise au participant. Intéressés ?

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En savoir plus sur Gilles Boudot

Au sujet de sa galerie La Porte Étroite à Toulon

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