Rencontre avec Philippe Piguet, directeur artistique de Drawing Now Art Fair

Piguet
Marlène Pegliasco
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Critique d’art, conférencier et commissaire d’exposition indépendant, Philippe Piguet est une personnalité illustre du monde artistique contemporain. Le directeur artistique de Drawing Now Art Fair, le salon du dessin contemporain, est passionné par l’art de la deuxième moitié du XXe siècle jusqu’à nos jours et réunit chaque année un comité de sélection qui, par leur choix, contribue à la renommée de Drawing Now. Cette année, il a été rejoint  par Joana P. R. Neves, directrice artistique à l’international afin de développer les réseaux à l’étranger et les échanges internationaux entre galeries, artistes, collectionneurs et institutions. Ensemble, ils ont  monté l’exposition « BD/Drawing : Correspondance », en partenariat ave la Cité Internationale de la bande dessinée et de l’image à Angoulême. Aussi, il reconduit  pour la 3e fois consécutive le parcours Master Now qui permet de découvrir, au sein même du Salon, une sélection de chef-d’œuvre graphiques sélectionnés auprès d’une vingtaine de galeries sur les 72 que comptent la foire. Enfin, il assure le commissariat de l’exposition du lauréat du Prix Drawing Now chez Christie’s France. Une immersion totale dans le dessin contemporain pour cet arrière-petit-fils par alliance du peintre Claude Monet et lui-même collectionneur averti. Rencontre.

 

Piguet

Une 12 édition  et toujours de nouvelles propositions : quelles sont les clés de la réussite de Drawing now Art Fair ?

Les clés de la réussite tiennent dans la nature même de l’objet qui fait le salon, à savoir le dessin lui-même. Le dessin est un objet de proximité, qui porte au regard, à la création. Le dessin parle à nous tous, c’est proche des gens, cela parle de leur relation, c’est propre à une écriture personnelle. Nous sommes dans une époque terriblement gourmande et le dessin est en amont de ces images. Puis, le public est curieux par nature, ils apprécient de porter leur regard sur la création. Drawing Now attire chaque année un public toujours plus nombreux, un public qui a appris à regarder, à vouloir acheter , à collectionner et le dessin fait parti de ce b.a.-ba. Le dessin est aussi une porte d’entrée à la collection par son format et son accessibilité et relativise la prise de risque. Dans une époque de plus en plus visuelle, on a envie d’avoir justement une image de qualité sous les yeux et le dessin est une fabuleuse réponse à ce désir. 

Ce qui est passionnant avec le dessin, c’est la proximité de la pensée. Quand on entre dans cette aventure de création, on entre dans l’univers de l’artiste, aisément et intelligemment dans son œuvre. Mais, par la nature même de l’objet, le dessin fonctionne de manière autonome. C’est un objet inducteur nous amenant vers la création, qui garde sa propre vérité et sa propre identité avec tous les matériaux et techniques utilisés.

Richard Müller, Parc à Shanghai (French restaurant), 2016_Crayon sur papier, 50 x 65 cm © galerie la FerronnerieRichard Müller, Parc à Shanghai, French restaurant, 2016 ©Galerie la Ferronnerie

Cette édition 2018 est placée sous le signe de propositions inédites avec les deux nouveaux secteurs, Insight et Process. Sommes-nous dans l’ultra contemporain du dessin ?

Nous avons la volonté de régénérer sans cesse ce salon. Aussi, les deux espaces du bas sont consacrés à deux propositions de découverte. Le parcours Process est d’ordre curatorial. Les galeries ont pris un engagement très fort en créant ces sortes de mini-expositions. Nous sommes dans la prise de risque où cela devient moins commercial car chaque galerie montre une démarche artistique pure. Quant au parcours Insight, chaque exposant montre sur son stand un ou deux artistes. C’est une manière d’approfondir une pratique, de mettre l’accent sur un artiste émergent, sur une pratique du dessin spécifique. Les duos fonctionnent très bien, comme un effet miroir où la création de chaque artiste se répond.

A ce niveau, vous découvrirez aussi l’exposition culturelle sur BD/Drawing : Correspondances, montée avec Joana P.R. Neves, la directrice artistique à l’international et en partenariat avec la Cité de l’Image d’Angoulème. Nous souhaitons montrer les correspondances entre ces deux pratiques finalement similaires. La bande-dessinée et le dessin ont en commun les mêmes notions de plasticité, d’inventivité et de contenu.

Jacqueline Dauriac, Sans titre, 2009_Acrylique sur papier calque, 21 x 29,7 cm © Courtesy Galerie Isabelle Gounod

Jacqueline Dauriac, Sans titre, 2009 © Courtesy Galerie Isabelle Gounod 

Parlez-nous du Prix Drawing Now. Quels sont les critères de son attribution ? Pouvez-vous mesurer l’impact de ce prix dans la carrière de l’artiste ?

Il faut avoir moins de 45 ans et être présenté par une galerie en focus sur le stand. Le prix est décerné après concertation par les membres du Comité de sélection des galeries, le président de notre mécène Soferim, M. Jean Papahn et le directeur exécutif du Drawing Center New-York, Brett Littman. Le lauréat remporte une somme de 5000€ ainsi qu’une exposition chez notre partenaire, la maison de vente Christie’s. Ensuite, est-ce que ce prix a un impact dans la carrière de l’artiste ? Je ne pense pas. Les artistes présentés à Drawing Now Art Fair sont déjà défendus par des galeries et exposés dans divers manifestations. Nous pourrions dire que le Prix Drawing Now rajoute à sa reconnaissance et cela lui permet de bondir plus haut.

Franz Burkhardt, Kulturfremd, 2017_Crayon, Encre de Chine, gouache sur papier, 28 x 19 cm © Courtesy Galerie Martin Kudlek, Cologne

Franz Burkhardt Kulturfremd 2017©Courtesy Galerie Martin Kudlek Cologne

Vous êtes un collectionneur averti. Aurez-vous des conseils à donner à des personnes qui veulent commencer une collection ?

Je vais vous faire une confidence. Le salon du dessin est venu d’une idée de Christine Phal, suite à une conversation fin 2006 sur la possibilité de faire une foire du dessin contemporain en off du Salon du dessin. Bien entendu, l’idée m’a tout de suite plu mais était-ce l’amoureux des arts ou le collectionneur qui inconsciemment acquiesçait cette proposition ? Organisé par Carine Tissot, ce salon est aujourd’hui une réussite. Il ne faut pas avoir peur du coup de cœur et les prix proposés sont très attractifs pour qui veut commencer ou continuer une collection. Le dessin est un médium exceptionnel qui touche tout. Tous les arts, toutes les personnes, toutes les histoires. Il faut exciter le désir d’art à travers un objet qui est le dessin. Le dessin n’a pas de frontière mentale, il est l’enregistrement de la voix haute de la pensée. Collectionner le dessin est une évidence, il est une douce épiphanie, au sens étymologique du terme, c’est-à-dire une révélation.

Jean-Michel Othoniel, Sans titre, 2008_Aquarelle et crayon sur papier, 61 x 46 cm © Jean-Michel Othoniel, Courtesy Galerie Karsten Greve St. Moritz, Paris, Köln

Jean-Michel Othoniel, Sans-titre, 2008 © Jean-Michel Othoniel, Courtesy Galerie Karsten Greve St.-Moritz-Paris-Köln

Existe-t-il des spécificités  propres aux dessinateurs français ? Quelle vision avez-vous des artistes français sur la scène internationale? 

Il existe peut-être une forme de rationalité propre à ce que représente la France mais cela s’arrête là. La qualité créative est bien présente. Ensuite, on peut dire qu’aujourd’hui, les artistes français sont plus présents à l’étranger voire y font carrière! On oublie que la France est un petit pays en comparaison avec les Etats-Unis ou la Chine. Le marché de l’art et les mécanismes artistiques sont similaires pour tous cependant, la France possède une longue histoire et cette aspect historique est une véritable force créative. De nombreux artistes étrangers viennent s’installer en France pour cette richesse culturelle et historique. Cela est mondialement connu et reconnu.

Marion Charlet, Bedtime, 2017 ©Emilie Mathé Nicolas Courtesy Galerie Virginie Louvet et de l'artiste

Qu’est-ce qui vous rebute dans le dessin contemporain ?

Rien ne me vient à l’esprit si ce n’est que, en tant que collectionneur, je serais freiné dans un souci de conservation et de présentation. Des œuvres aux dimensions trop importantes ou alors créées avec des matériaux organiques peuvent rebuter le collectionneur. Cependant, en aucun cas, ils ne doivent rebuter une institution culturelle. L’œuvre est le reflet d’une pensée, le témoignage d’un regard aussi, les institutions doivent s’adapter à la création artistique et surtout pas le contraire ! Rappelons qu’une collection est un autoportrait qu’on se fabrique. C’est le reflet de notre existence, une expérience unique et passionnante.

Drawing Now Art Fair
Du 22 au 25 mars 2018
4, rue Eugène Spuller
75003 Paris
Plus d'infos ici
 
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