La force tranquille d’Aliona Ojog

Marlène Pegliasco
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[Toulon] Il y a des artistes qui méritent d'être connus et reconnus tant leur talent crève les matières. Aliona Ojog en fait partie. D'origine moldave, Aliona  est venue s'installer en France en 2007. D'abord pour continuer ses études artistiques. Ensuite, pour trouver un lieu propice à sa création. Avec Aliona, nous sommes dans le monde réel. Un monde fait de personnes flottant, dans l’air, dans l’eau, dans la vie en somme. Ces personnes sont si chères dans l'art d'Aliona. Elle les aime, s'en inspire, les observe, les scrute…

J'ai découvert les oeuvres d'Aliona en 2010, alors qu'elle venait juste de poser ces dessins à la Galerie Espace Castillon à Toulon-galerie qui continue toujours de la représenter. Ce fut un coup de coeur. Puis en 2015, j'ai eu le privilège d'écrire un court texte sur ces Paintings lors de l'exposition collective "Imagerie" à la Galerie Vaubecour à Lyon, durant la Biennale :

Painting, Aliona Ojog ©Espace Castillon

Painting, Aliona Ojog ©Espace Castillon

"Ses paintings s’offrent à nous comme un réel rêveur, un rêve éveillé où les souvenirs se mêlent à la vie présente. L’art d'’Aliona est figuratif et onirique, composé sur un fond de “bonheur de vivre” simple et pénétrant, relevé par ce travail délicat de l’encre, trahissant son parcours académique. Mais l’artiste a su s’en affranchir pour relever sa personnalité, à l’image de son travail: une oeuvre pointilliste et intimiste".

Painting, Aliona Ojog ©Espace Castillon

Painting, Aliona Ojog ©Espace Castillon

Painting, Aliona Ojo ©Espace Castillon

Painting, Aliona Ojo ©Espace Castillon

Vous l'aurez compris, le but avoué de cet interview est que vous puissiez découvrir cette artiste si attachante. Plongée dans le lyrisme pictural d'Aliona Ojog.

Aliona, présentez-vous en quelques mots ?

Et bien, je suis une artiste plasticienne, originaire de Moldavie. J’y ai fait des études de gravure puis je suis arrivée en France il  a 10 ans de cela afin de continuer mes études d’arts plastiques, à Clermont-Ferrand précisément où j’ai obtenu mon master. Ensuite, j’ai étudié en scénographie un an à Monaco au Pavillon Bosio. C’était une formidable expérience, on travaillait sur plusieurs projets, puis je suis arrivée à Toulon. J’ai toute de suite été attirée par cette ville, je l’ai toute de suite aimé. Cela fait maintenant  6 ans que j’y habite.

Pourquoi être restée à Toulon et ne pas avoir choisi de s’installer ailleurs, voire de retourner en Moldavie ?

Cela ne s’explique pas. Je voulais rester dans le sud et puis il y a eu un coup de cœur pour Toulon. Je me suis toute de suite sentie bien. J’y ai rencontré des gens rapidement, un cercle artistique s’est formée, j’ai pu exposer à la Galerie Espace Castillon…Avec Toulon, il y a eu un « PAM » dans mon cœur. Et puis dans cette ville, j’ai pu mettre en valeur un autre aspect de mon art par le tatouage. Chez Arte Corpus, mes dessins passent de la toile à la peau.

 

Portraits, Aliona Ojog ©ArtInVar

 

Portraits, Aliona Ojog ©ArtInVar

Pourquoi as-tu choisi la voie artistique ?

 Ma famille est une famille d’artistes, j’ai été éduqué dans la vision des choses différentes, dans une démarche artistique. C’est aussi grâce à mes parents que j’ai commencé à étudier et ils m’ont toujours soutenu. Leur aide était précieuse. Cependant, je regrette qu’on ne nous avertisse pas assez de l’ « après-études » dans les Ecoles d’Art. Que va-t-on devenir une fois les études terminées ? Il faudrait qu’on apprendre à se vendre, à démarcher les galeries, les fondations…Apprendre à passer d’artiste à business, ou comment concilier les deux ! C’est difficile mais c’est un passage obligé et que les écoles devraient enseigner. Les projets sur lesquels on travaille durant nos études sont éphémères. Une fois finies, on sort de la « bulle » scolaire, on ne s’est pas à quoi s’attendre et on met les pieds sur terre. Ils existent des subventions, des résidences mais ce n’est pas du concret.

Beaucoup d’artistes travaillent à côté et le regret est que la création artistique finisse par devenir une occupation. C’est dommage car être artiste est un travail à part entière, on s’investit physiquement et mentalement, tu ne peux pas te détacher de ton œuvre. Jour et nuit, tu fais corps avec ton œuvre, tu ne peux pas dire : je sors les pinceaux, je peins une heure et basta. Non, tu ne peux pas compter les heures. Vendre ses œuvres, c’est vendre une part de son âme. La création bouffe de l’énergie. Si tu es sérieux, c’est quelque chose qui prend tout ton temps.

Comment travailles-tu ?

Je travaille à l’encre plume et beaucoup sur les portraits car l’expression des visages m’attire. Un visage, c’est comme une toile, tu peux découvrir plein de choses comme les émotions. J’aime l’agitation des émotions même si mon travail est calme. Peindre c’est comme méditer,  tu rentres dans une sorte de bulle et tu te fais guider par quelque chose d’inconnu et j’aime bien ce côté mystérieux qui se trouve dans l‘art en général. Ok tu te mets un but mais tu te fais guider par tes émotions et pas par tes gestes.

 Pour la technique, j’aime les couleurs calmes, douces. Je travaille avec plusieurs couches, comme un glacis, pour donner du volume, et de la transparence, de la légèreté. Je peins à l’acrylique car l’huile ne me convient pas. J’utilise aussi toujours l’encre plume, qui apporte un côté minutieux, chose qu’on peut voir dans le tableau du tatoué. Je suis toujours dans les détails car j'estime que les petits détails font de grandes choses. C’est vrai que toutes les grandes choses commencent par des petits détails. Par exemple, une longue route commence par des petits pas. Dans les détails, tu peux inclure des messages, des pensées, c’est un petit monde dans la toile. Small things make big things.

 

L'artiste et son oeuvre©ArtInVar

 

L’artiste et son oeuvre©ArtInVar

Ce côté minutieux, tu le tiens de l’école ou de toi ?

Oui çà doit venir de la gravure. C’est une technique à l’ancienne, qui demande un atelier et c’est pour ces raisons que je ne pratique plus la gravure. Par contre, j’aime les nouveaux graveurs contemporains. Ils arrivent à exprimer beaucoup d’émotions.  

Tu te laisses inspirer ?Ou es-tu en perpétuelle recherche ?

Je me laisse inspirer, totalement. Je considère que ma voie me montrera ce dont j’ai besoin aussi, je laisse l’inspiration venir…mais tout en sachant ce que je veux !

Quand tu commences une toile, as-tu une idée de la finalité ou laisses-tu une part d’impovisation ? Sais tu à quel moment tu dois t’arrêter ?

Oui. Mais çà je ne peux pas l’expliquer. Je sais quand  c’est fini, c’est comme çà (rires). Quand je commence une toile j’ai déjà une idée, une composition, une image générale très abstraite dans ma tête. Il ne faut pas que ce soit tout défini sinon l’intérêt se perd complètement. Après, personnellement, je suis dans quelque chose de figuratif. On veut toujours améliorer sa toile, que ce soit plus clair, plus lisible mais on sent quand on doit s’arrêter et ne plus y revenir.

On sent que tu as du caractère, que tu veux aller de l’avant.Tu es une force tranquille, et en même temps, dans ton art, on ressent de la sensibilité, tu analyses les gens, tu les scrutes, regardes, tu aimes le contact, tu aimes l’humain.

Je pense que çà vient de l’Est. Les femmes y sont très douces mais elles ont du caractère. Une des plus grande forces de la vie est de ne pas devenir agressive alors que des choses difficiles te sont arrivées. Aujourd’hui, pour le moindre truc, on peut exploser. Les gens n’ont pas les mêmes valeurs. Si tu as connu des malheurs, tout devient relatif.  Dans notre société, tout est à notre portée. Les gens n’apprennent pas à obtenir les choses. Cela se ressent sur le caractère.

Moldavie/ France, que-t-ont apporté ces deux pays ?

La Moldavie m’apporterait plus dans les émotions et dans la dynamique que je donne à mes créations. Mais je me sens sans nationalité. No french, no Moldavian. Je me sens libre, je n’aime pas mettre des cadres. Si demain je devais partir, je me sentirai bien là où j’irai. Cependant, il existe un grand contraste dans la mentalité entre ces deux pays. Les Moldaves  sont plus naïfs, plus enfantins en fait, dans le sens où ils croient beaucoup à un bel avenir, où ils rêvent les yeux ouverts. Venir en France m’a changé dans cette habitude, mais cela m’a aussi fait grandir.

Quels sont tes inspirations ?

J’aime beaucoup les grands formats de Philippe Pasqua. C’est un artiste qui a la pêche, la patate, il arrive à vendre ses œuvres et cela m’inspire. Son travail est beau, il y met son âme et il arrive à vivre de çà!  Aussi, j’aime particulièrement l’artiste américain H. Craig Hanna, qui fait aussi…des portraits (rires).

Parles-nous de la création artistique

J’aimerai pouvoir participer à la création artistique en Moldavie. Il y a plein d’artistes très doués, plein de choses qu’ils peuvent faire. Ces gens-là m’inspirent. J’aimerai que les artistes soient tranquilles d’esprit pour créer, c'est-à-dire s’en sortir financièrement afin de ne pas s’inquiéter. L’artiste se donne à 100% dans sa création et il lui faudrait un agent qui gère le business. C’est un souhait que je souhaite à tous les artistes. Être artiste est un acte courageux.

Comment vois-tu ton évolution artistique ?

Dans mes premiers dessins, il y avait des collages qui montraient mon attachement à la généalogie, à l’héritage. Dans ces dessins, il y a des souvenirs, de la mélancolie, c’est certainement lié par rapport au fait de vivre dans un autre pays, à mon histoire personnelle. Ma famille est en Moldavie, j’ai appris la langue française toute seule, je n’ai aucune famille ici et elle me manque (heureusement qu’il y a internet !) . Ce déracinement me marque. Mais çà c’était avant ! Aujourd’hui, je travaille au présent. Un des problèmes de notre époque est que  les gens actuels vivent beaucoup au passé ou dans le futur mais pas au présent. Soit on est nostalgique, soit on se projette mais on ne vit pas le présent. L’idée est de se raccrocher au présent, de sentir ce présent. Cette notion a changé ma création artistique. Aujourd’hui, je suis dans une période colorée, plus douce, avec les portraits. Je ne sais pas le but ni le lien mais ce sont les envies du moment. Des pastels, des couleurs claires, ma peinture est calme. La peinture exprime l’âme actuelle du peintre. Ce qui est beau dans la peinture, c’est qu’on change et notre peinture s’en ressort. Ma peinture est en évolution perpétuelle, comme moi. C’est la peinture au présent, la peinture de mon présent.

Détail, portrait, Aliona Ojog ©ArtInVar

Détail, portrait, Aliona Ojog ©ArtInVar

Cela fait 6 ans que j’expose à la Galerie Espace Castillon en permanence et j’ai exposé ailleurs, comme à Lyon en 2015, j’ai participé à des projets comme l’illustration de livres avec les Editons de Paris. Actuellement, j’ai un peu lâché la création et çà me fait du bien. Quand tu te prends trop au sérieux, çà te bouffe le cerveau et si  des projets devaient se mettre en place, ils viendront vers moi. J’ai passé du temps à chercher des  projets mais maintenant, j’attendrais qu’ils viennent.  Forcément, il faut parler de mon travail chez Arte Corpus. Le tatouage, c’est vraiment intéressant. Ce n’est plus un tableau, tu travailles sur la peau. Et puis, ce métier t’amène plus vers le public, vers les gens. Je cumule des petites choses, çà arrivera, soit je vais faire des tatouages plus artistiques, soit cela nourrira ma création artistique personnelle.

Quels sont tes projets ?

Même si aujourd’hui, je m’accorde une pause dans l’art, je ne mets pas une croix dessus. J’ai d’ailleurs un projet en cours pour la  scénographie d’un spectacle avec la création de mise en scène et de décor en 2017. Mais j’ai besoin de cette pause, de prendre mon temps. Je veux être bien dans la vie. Créer sans aucune contrainte, je crois que c’est çà le vrai projet !

Aliona est une artiste adorable. On succombe vite à sa gentillesse, sa voix douce et chantante, où l’accent moldave ensoleille la conversation comme une journée de printemps. Nous lui reconnaissons un véritable talent, un trait si délicat, si précis. Fine observatrice, ses œuvres nous interpellent et révèlent en nous les émotions humaines. Une artiste passionnée, douée, qui mérite un vrai succès

Détail, Portrait, Aliona Ojog©ArtInVar

Détail, Portrait, Aliona Ojog©ArtInVar

 

 

 

 

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