L’Art Brut s’expose au Théatre Liberté

Marlène Pegliasco
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[Toulon] Définir l'Art Brut. Saisir cet art, sa signification, connaître son identité. Tel est le propos de la programmation que consacre le Théâtre Liberté durant les mois d'octobre et novembre. En marge des projections, tables rondes et conférences, vous pouvez découvrir, dans le hall principal du théâtre, une série de photographies de Gustavo Giacosa dédiés à l'écriture comme médium artistique au sein des différentes formes que peut prendre l'art brut. Découverte.

Vue d'ensemble de l'exposition photographique, hall du Théatre Liberté

Vue d’ensemble de l’exposition photographique, hall du Théatre Liberté

Paroles en marche

Qu'est ce que l'Art Brut? Ce terme, inventé par le peintre français Jean Dubuffet (1901-1985), désigne un art marginal, un art produit par des fous, des aliénés, des chamaniques et des exclus. Un art qui est produit là où on ne s'y attend pas. Originaire d'Argentine, l'artiste Gustavo Giacosa fonde en 2005 un groupe multidisciplinaire d'artistes et crée à Gênes, l'association ContemporArt avec lequel il travaille sur le rapport entre l'art et la folie dans les arts visuels.

Le titre de cette exposition , Paroles en marche, est significatif du travail de Gustavo. Pour lui, l'être humain est amené à bouger, à marcher. De tout temps, il s'est déplacé et ne peut demeurer statique. Il existe deux forces antagonistes précise-t-il, "celles qui me poussent à partir et celles qui me retiennent dans un lieu. Deux forces en opposition qui, entre autres, animent la condition humaine et définissent notre relation au monde". Cette réflexion mûrit son travail. Opposant sédentarisme et nomadisme, nous ramenant à la réalité quotidienne, l'artiste ramène la "marche" à une action militantiste avec un but défini. Valorisé par la société, il oppose le terme d'errance, notion négative car assimilée à un tracé sans début ni fin, pratiquée par des vagabonds, des exclus, les marginaux. Pourtant, il s'interroge: "Comment l'errance qu'on associe généralement à l'expérience douloureuse du renoncement peut-elle devenir une impulsion créatrice?". Les clichés ont saisi des écritures. Des formes littéraires, des mots, des actes, des paroles muettes. "J'aime employer le terme de parole, dans le sens de la langue italienne, c'est-à-dire comme le mot synthèse entre l'écrit et l'oral" souligne le photographe. La parola désigne la parole, donc vocable, et le mot, donc graphique. Au gré de ses propres errances, Gustavo Giacosa a parcouru le monde pour immortaliser des paroles éphémères, comme des cris sourds et des pulsions étouffées d'émotions revendiquées.

Mais qui sont ces créateurs?

Giovanni Bosco, photographie de Gustavo Giacosa

Giovanni Bosco, photographie de Gustavo Giacosa

Giovanni Bosco : Castellammare del Golfo, Sicile (1948 – 2009)
Emprisonné pour des délits mineurs, l’expérience de la prison le traumatise, il souffre de dépression et de paranoïa et cesse de travailler. Il s’installe dans une pièce donnant sur la rue et vit dans une grande misère. Du carton de récupération aux murs de sa chambre, sa peinture envahit les rues de Castellammare del Golfo de cœurs stylisés, de fragments anatomiques, de "viparicchi " , figures anthropomorphes sobres et économes, agencées avec un sens inné de la composition. Il réalise également des inscriptions topographiques et des refrains du chansonnier populaire Mario Merola. Dans les rues de la ville, il marque son passage de peintures à l’huile sur les murs de la cité. Il s’approprie l’espace public.

Giovanni Bosco, photographie de Gustavo Giacosa

Giovanni Bosco, photographie de Gustavo Giacosa

Melina Riccio, photographie de Gustavo Giacosa

Melina Riccio, photographie de Gustavo Giacosa

Melina Riccio : Ariano Irpino, 1951
Après avoir mené une vie "normale" avec maison, travail et vie familiale, une grave crise existentielle la pousse à tout abandonner pour chercher la vérité. Elle voyage dans toute l’Italie et délivre des messages de paix et de retour aux valeurs morales à partir de dessins et d’écritures exécutés sur les murs, de collages et d’assemblages de matériaux divers. Les murs, sans frontière, deviennent les supports de la diffusion de ses messages rimés de paix et de respect de la nature. Ses messages sont visibles maintenant dans de nombreuses villes italiennes.

Michel Godin des Mers, photographie de Gustavo Giacosa

Michel Godin des Mers, photographie de Gustavo Giacosa

Michel Godin des Mers : actif à Paris
"Un acteur-novateur-artisan-poète ", selon sa propre définition. Depuis trente ans, de Nation à Notre-Dame, avec son vélo à voiles qui contient ses principaux thèmes de réclamation, il ne passe jamais inaperçu. Le but de ses parades, certains jours de la semaine : réclamer justice et donner des concerts de flûte. Il en veut à cette société "esclavagiste"  qui ne permet pas à tout un chacun de bénéficier d’un logement gratuit. À la fois bateleur et revendicatif, appelant à une "révolution civile ", interpellant les puissants pour leur crier que la démocratie n’existe pas.

Michel Godin des Mers, photographie de Gustavo Giacosa

Michel Godin des Mers, photographie de Gustavo Giacosa

Prophète Gentileza, photographie de Gustavo Giacosa

Prophète Gentileza, photographie de Gustavo Giacosa

Prophète Gentileza : (Cafelandia 1917 – Sao Paolo 1996)
Dès l’enfance, José Datrino fait montre d’un comportement particulier et est sujet à des prémonitions. Le 17 décembre 1961, un incendie tragique ravage le cirque Gran Circus Norte-Americano à Niteroi au Brésil. C’est une hécatombe, plus de 500 personnes périssent. Choqué par l’événement, une semaine plus tard, il entend des voix qui le somment d’accomplir sa mission sur terre. Il délaisse tout, prend le nom de "José Agradecido" ou de "Prophète Gentileza" et entreprend son prêche infatigable. Dès lors, il sillonne Rio à pied, jusqu’à sa mort, pour diffuser ses messages de paix, d’amour et de tolérance. En 1980, il commence à peindre les 56 piliers du Viaduc de Caju et y consigne, pendant dix ans, sa critique du monde moderne et du capitalisme aux couleurs du drapeau brésilien.

 

Babylone, photographie de Didier Nadeau

Babylone, photographie de Didier Nadeau

Babylone : actif à Mamoudzou, capitale de Mayotte
Découvert par le psychiatre Régis Airault, son nom est Charbon mais on l’appelle Babylone. Poète errant tôt le matin, sans domicile fixe, il se sert de morceaux de charbon pour couvrir les murs, les façades des maisons, les poteaux électriques et les trottoirs d’une mystérieuse calligraphie serrée, couvrant environ un mètre carré et qui rappelle les tables coraniques destinées aux écoliers. Apprécié par la population qui le considère comme un doux fou, il fait partie du paysage social de l’île en pleine mutation.

Carlo Torrighelli : Laveno 1909 – Milan 1983
Après avoir longtemps milité dans la Résistance et les rangs du parti communiste italien, Carlo Torrighelli, avec un tricycle, ses trois chiens appelés "The Beauty", "L’Humanité " et "L’Amour ", de la peinture et un mégaphone, il dénonce les "systèmes d’ondes" installés dans la Cité du Vatican, capables de tuer les humains et les animaux. La nécessité de la
dénonciation le pousse à investir pendant des années les trottoirs du centre historique de Milan. Il souffrait de la silicose, mais il croit qu’il a été contaminé par ces ondes mystérieuses.

Un art existentiel

"C'est ainsi que dans les rues de Rio de Janeiro, Gênes, Mamoudzou ou Berlin, j'ai découvert des message codés ou chiffrés qui m'ont interpellé par leur fort impact visuel et leur contenu subversif" raconte Gustavo.  "Ces paroles que je voyais "toujours en marchant" à la périphérie de mon regard, donnent voix aux anonymes et aux exclus. Leurs auteurs, dont peu à peu j'ai appris les histoires, se donnent pour mission vitale de communiquer leur vision dans la sphère publique sous la forme précaire d'art de la rue, d'art dans la rue". Voilà ce que nous enseigne ces clichés: la vision d'une vie et l'art comme moyen de se raccrocher à l'existence.

 

À découvrir jusqu'au 26 novembre 2016

Paroles en Marches

Hall du Théatre Liberté

Place de la Liberté

83000 Toulon

04 98 00 56 76

 

 

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