Le récit poétique de la photographe Hélène David

Marlène Pegliasco
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[Sanary] Photomed est un festival printanier qui, depuis 7 ans, met en avant le travail des artistes du monde méditerranéen. Nous avons déjà présenté ce festival qui se déroule cette année dans le Var- Ile de Bendor, Sanary et Toulon- et à Marseille. Après vous avoir annoncé  les diverses expositions, il m'a paru essentiel de vous présenter celles qui m'ont touché. Chacun de nous réagira différemment devant des oeuvres d'art, des clichés, des monuments, devant toutes formes d'expressions artistiques. Mais quand un artiste et son art ont su nous atteindre, nous n'avons qu'une envie, c'est de faire partager cette émotion. Hélène David est de ces artistes. Son travail sensible et intense parle à nos sens. Les 5, sans aucune restriction.

helene David

Est-ce la varoise qui parle avant tout? Est-ce cette personne qui a vécu depuis tant d'années au bord du littoral varois, bénissant la mer Méditerrannée et les joyaux qu'elle a formés? Le Var regorge de criques, d'une faune et d'une flore maritimes exceptionnelles avec lesquelles nous cohabitons depuis tant de millénaires. Est-ce pour cela que le travail d'Hélène David m'a touché? Peut-être…ou pas seulement. Dans ses photographies, il y a une vérité. Vérité de l'image, de la sensation, vérité identitaire que chaque être côtoyant la nature cherche comme un double.

helene david

C'est une photographie d'Hélène David qui a été choisi pour réaliser les affiches de l'édition varoise de Photomed. Une affiche en gros plan, évocable à tous, nous qui vivons en permanence au contact de l'eau. Nous avons l'impression de ressentir les sensations de cette femme, remontant à la surface. Un instant saisi dans la bienveillance aquatique. Cette affiche interpelle et donne le ton du travail qu'expose Hélène David à la Maison Flotte à Sanary. Là, à quelques mètres du port de pêcheurs, les tirages exposés au premier étage représentent une récente étude photographique dans un endroit si proche et si familier: les Calanques.

Anna, La calanque de Sormiou

Anna, La calanque de Sormiou

helene David

Cette année, le festival Photomed n'avait pas invité un pays en particulier mais avait donné comme thématique, la famille.  "Dans mon travail,  je propose une famille élargie au reste du vivant" précise Hélène David. "Les oiseaux et la nature appartiennent à notre famille commune. Lors de mes travaux, j'ai rencontré des peuples, comme les Inuits ou les Inupiaks d'Alaska qui intègrent dans leurs sociabilités des ours polaires, des orques, des oiseaux ou même des arbres. La sociabilité et la famille ne s’arrêtent pas au cadre humain au contraire, il ne peut que s'élargir. Je pense que tout cela m'a amené à réfléchir sur la continuité ou la discontinuité entre humains et non-humains ." Une famille élargie à la nature, mère nourricière. Il est intéressant de réfléchir au lien qui existe aujourd'hui entre la nature, notre environnement premier et notre être, notre identité. Entre notre environnement sauvage et notre personne. Les Calanques sont le décor de cette interrogation sur la frontière entre nature et culture, entre sauvage et civilisation, notamment -ou surtout- à Marseille, 2ème ville de France. Notamment à Marseille, ville d'adoption de la photographe.

Noces ou les confins sauvages

Le royaume (Archipel du Frioul) © Hélène David / Picturetank

Le titre de cette série photographique se nomme "Noces ou les confins sauvages". Le point de départ de ce projet est un texte d'Albert Camus, écrivain français, né en Algérie (1913-1960), qui s'appelle "Noces à Tipasa" . Cet essai, écrit à 26 ans, décrit les fougues d'une expérience intime de la mer Méditerranée et pose l'interrogation de notre identité par rapport au monde.  Orphelin de père et grandissant avec une mère qui avait peu de moyens, Albert Camus s'imprègne de cette mer avec laquelle il cohabite, de cette relation avec le littoral pour constituer  son identité  d' homme et d'écrivain. Il devint un grand intellectuel, possédant à jamais une relation forte et  charnelle en prise avec le monde méditerranéen, et plus largement le monde. "Quand j'ai lu ce texte", nous raconte la photographe, "j'ai vraiment ressenti ce qui pourrait se passer aujourd'hui dans les Calanques, en terme de sensations, de perceptions  car c’est exactement la même expérience, la même joie de vivre, la même intensité aussi qu'on éprouve pour la mer Méditerranée. Il se trouve que j'avais déjà réalisé un travail documentaire sur le territoire et cette  connaissance des lieux m'a permise d'entamer ce travail poétique qui amène par le sensible à approuver les  continuités entre les êtres et la nature, entre le sauvage et l'humain, entre les humains et les non-humains."

Noces ou les confins sauvages

Un grouillement d’êtres vivants (les étourneaux)© Hélène David / Picturetank

helene david

Cette série photographique est un récit pensé comme une narration qui se déroule, doublé d'une traversée sensible, c'est-à-dire inviter le spectateur à une expérience  sensorielle. L'artiste assume une certaine approche physique et intime dans sa pratique photographique. Entre 2003 et 2012, elle a embarqué avec des marins hauturiers afin de ressentir la haute mer. De 2004 à 2008, elle a réalisé une série, nommée "Les réfugiés climatiques"  qui montre comment  le peuple Inuit pensee n continuité avec leur environnement. "Ces travaux m'ont amené à  réfléchir sur le statut de l' humain au sein du vivant. Il faut dépasser la frontière entre nature et culture et plus largement entre les humains et le sauvage. Ce ne sont plus des frontières pertinentes. Des frontières, établies par certaines cultures et qui méritent d'être questionnées. Par mon travail, je montre les liens sensibles sur cette continuité entre nous et le reste  du vivant et dans l'idée d’un devenir commun". Par ces images, si belles et si poétiques, Hélène David nous rappelle la beauté immuable de la nature mais aussi qu'il existe des interconnexions constantes entre le monde humain et le reste du monde vivant. Devons-nous séparer ces deux mondes alors que nous vivons sur la même planète? Certains clichés montrent même la relation forte voire amoureuse entre l'être et la nature. Un élément essentiel et indispensable de sa construction identitaire.

Noces ou les confins sauvages

Noces (Méditerranée)© Hélène David / Picturetank

helene david

Rappelons que cet élément indéniable de notre existence –Les Calanques ne sont que le symbole de cette nature avec laquelle chaque être du globe vit-est nécessaire pour se construire et y vivre. Une patrie universelle vulnérable, constamment sous pression sous l'effet des constructions et de la pollution. Sur le littoral provençal et azuréen, nous pourrions rappeler l'intérêt de la loi littoral et les tristes épisodes de boues rouges qui se déversent dans les Calanques…Si l'humain communie avec la nature,elle y laisse aussi un impact qui se peut irrévocable. Alors, les clichés d'Hélène David entrent en résonance avec une certaine idéologie écologique mais la démarche est plus large plus philosophique. À l'instar d'Albert Camus, vivre la nature, c'est vivre tout court. C'est se sentir vivant. C'est ressentir un monde familier, bienveillant et hospitalier, une prolongation de notre famille humaine. " À travers mes photographies, le spectateur peut se faire son propre récit. Savoir que ces images ont été réalisées près de Marseille met à plat la notion d'urbain et de sauvage. Les images sont réelles, ancrées dans une réalité. Ce n'est pas un travail documentaire mais véritablement un récit poétique et sensible qui laisse place à l'imaginaire, à la rêverie. C’est une traversée sensorielle et perceptive".

helenedavid

helene david

Ressentir et éprouver le fluide nouricier de cette Mare Nostrum est une expérience unique. Que ce soit par le travail ou les loisirs, nous avons tous eu une histoire avec la Méditerrannée, avec ces Calanques , haut lieu touristique qui accueille 2 millions de visiteurs par an. Alors que cette fable et cet émerveillement ne s'arrêtent jamais et ne nous réveillez pas de cette rêverie. En sublimant la nature, en rendant à la biodiversité sa juste place comme constituante de notre identité, Hélène David nous rappelle que nous ne formons qu'un tout. Un être unique, aussi sublime que ces photographies.

helene david

Jusqu'au 11 juin 2017

Hélène David, "Noces ou les Confins Sauvages"

Festival Photomed

Maison Flotte
20 Quai Charles de Gaulle
83110 Sanary-sur-Mer
Ouvert tous les jours de 10h à 19h

Site d'Hélène David ici

Sur le Festival Photomed 2017 ici et ici

Je remercie l'agence 2e Bureau pour certains visuels.

 

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