Vivian Maier ou le génie d’une amatrice

Marlène Pegliasco
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[Toulon] Cet été, la Maison de la Photographie de Toulon nous honore d’une exposition consacrée à une photographe dont le talent a été reconnu  après son décès: Vivian Maier (1926-2009) , street photographer d'exception.

Vivian Maier, Autoportrait ©Association Vivian Maier et le Champsaur. Fonds John Maloof Une vie en argentique

Rien ne prédestinait Vivian Maier, née le 01 février 1926 à New-York, à devenir une photographe talentueuse dont le travail serait salué par le monde artistique quelques années après son décès, le 21 avril 2009. Rien, si ce n’est une curiosité insatiable et un amour inconsidéré pour la gent humaine.

Américaine par son père et française par sa mère, ses parents se séparent alors que Vivian n'est qu'une enfant. Elle part vivre alors avec sa mère chez une amie à elle, Jeanne Bertrand, photographe professionnelle reconnue. L'aurait-elle initié à ce médium? Vers 1932-1933 et jusqu’en 1938, Vivian et sa mère rentrent en France et s’établissent dans le Champsaur (Hautes-Alpes), terre natale maternelle. Après un retour aux États-Unis, elle revient dans cette région vers 1950-1951 à l’occasion de la vente d’une propriété familiale. C’est là qu’elle réalise ses premières prises de vue. Arpentant sa région maternelle à vélo, appareil photo en bandoulière, elle saisit le quotidien de ses habitants: paysans, enfants, villageois de tout âge… Déjà se dessine une envie de capter l'instant. Les cadrages serrés offrent une puissance évocatrice à l'image. Cette frénésie de saisir le « spectacle de la vie » continue lorsqu’elle retourne à New-York où elle achète un Rollefleix. Cet appareil de qualité montre qu’elle a à cœur de réaliser de beaux clichés. 

En parallèle, elle est employée comme nounou. Puis, elle rejoint Chicago en 1956 où elle est engagée par la famille Gensburg pour élever leurs enfants, John, Lane et Matthew. Lane racontera que Vivian  "nous emmenait en ville, on marchait dans les quartiers mal famés et je pense qu’elle aimait çà". Chez les Gensburg, elle dispose d'une salle de bain privée qui lui fait office de chambre noire pour développer ses négatifs. Même si son sujet de prédilection reste la ville, elle s'ouvre au monde avec un voyage en solitaire de 6 mois durant lequel elle visite l'Italie, l'Égypte, Bangkok…pour finir dans le Champsaur où elle continue de photographier inlassablement.

Vivian Maier, PortraitPuis les enfants Gensburg grandirent mais Vivian continua son activité de nounou dans d’autres familles. Son lien avec les trois enfants étant forts, ils veillèrent sur elle jusqu’à sa mort. Entre temps, Vivian avait investi dans deux appareils couleurs , un Kodak et un Leica. Mais quelle ironie pour un photographe de ne pas voir ses œuvres! Elle accumula les négatifs sans jamais les développer. Une raison que l'on ignore. Elle, l'amatrice, ne se pensait-elle pas capable d'avoir du talent et être reconnue photographe? Souhaitait-elle garder pour elle, comme un secret, ses clichés, ces morceaux de vie comme un puzzle de sa propre existence? Autant elle développa ses négatifs dans sa salle de bains privée quand elle fut employée chez les Gensburg, autant elle arrêta quand elle quitta leur maison. Pourtant, elle persista à photographier la rue, portraits posés, autoportraits où elle se met en scène, de manière composé et organisé, et laissa ses créations dans des cartons. Ce sont ainsi plus de 120 000 négatifs qui n’ont jamais été tiré  et dont Vivian ne connaîtra jamais le résultat final.

Elle entreposa ses cartons, « sa vie », dans un box, dont elle ne put régler le loyer lorsqu’elle était en maison de retraite médicalisée. En 2007, ses biens ont été mis aux enchères. Plusieurs acquéreurs se partagèrent les lots, le plus important revint à John Maloof. Il tira quelques clichés et fut attiré par leur qualité. Aussi, John décida de racheter les lots épars et partit à la recherche de Vivian Maier afin de la rencontrer. Malheureusement, il retrouva sa trace peu de temps après son décès.

L'exposition et ses clichésVivian Maier, Bertin Escallier dans la Vallée de Champoléon

L'exposition présentée à Toulon naît du désir de rendre hommage cette extraordinaire photographe en montrant son travail au public. Réalisée en collaboration avec l'Association Vivian Maier et le Champsaur et la galerie parisienne Les Douches, les clichés sont présentés comme suit. Au rez-de-chaussée sont exposées les photos prises  à New-York et Chicago. Dans la salle attenante est diffusé le film "À la recherche de Vivian Maier " de John Maloof et de Charlie Siskel, sortie en salle en 2014. Filmé sous forme d’enquête, les réalisateurs interrogent ceux qui ont connu la nounou-photographe : enfants devenus grands, amies et des photographes de renom sur la portée de son talent caché mais aussi-et surtout- pour en savoir plus sur son existence. De plus, l'américain s’est rendu en France pour enquêter sur les origines familiales de la photographe et a rencontré ses derniers descendants.Par l'achat des négatifs lors de la vente aux enchères de 2007, John Maloof est aujourd’hui le principal détenteur et l'inlassable promoteur de cette œuvre posthume. Ce film cherche donc à rendre à Vivian, sa légitimité de photographe et de capter l'artiste qui sommeillait en elle. Ce manque de reconnaissance s’explique notamment par l’absence de tirages d’époque. Vivian Maier en a réalisé très peu par elle-même. Les autres sont ceux que John Maloof fait réalisé au fur et à mesure.

À l’étage sont exposés les clichés pris lors de ses séjours dans le Champsaur. Notons que l'Association Vivian Maier et le Champsaur valorise sa donation d'images à travers des expositions et perpétue son oeuvre par l'organisation de concours photographiques.

La place de son œuvre dans l’art photographique

Représentante de la Street Photography, son sujet primordial reste la ville et ses habitants. Ses clichés sont construits de formes géométriques : silhouettes aux lignes marquées, visages expressifs, elle se sert du contraste  entre noir et blanc pour accentuer les expressions. Elle s’inscrit dans la vague photo humaniste à l’instar de Robert Doisneau ou de Jacques Lartigue, typique d’après guerre. Capter la real life. Elle réalise des autoportraits en s'inscrivant  pleinement dans cette humanité. Dans la veine de l'américaine Dorothea Lange qui photographia les chômeurs de San Francisco, ou Weegee dont les photos traduissent le racisme, la pauvreté et la criminalité new yorkaise, les clichés de Vivian Maier célèbre cependant la ville, ses rues , ses habitants et cherche une joie intérieure pour rendre un peu de lumière dans une vie qui peut vite tourner au désastre. La technique importe peu, ce qui compte ,c’est la spontanéité d’une rencontre, d’un regard, d’une situation. Cette amatrice,  au sens premier du terme, une personne qui cultive un art sans en faire une profession, avait l'art de la composition. Elle savait saisir l'instant proprice au déclenchement de son boîtier argentique.

Vivian Maier, Autoportrait au miroir rondDans le film de John Maloof, Vivian Maier est décrite comme une femme discrète et secrète. "Je pense que nous ne l'avons pas comprise" raconte Lane Gensburg. Ainsi, les interrogations persistent. Qui était-elle? Avait-elle peur de soumettre ses clichés au regard des autres? Pourquoi avoir gardé pour elle seule cette masse créatrice? Cette activité, qui représente 120 000 négatifs, 700 rouleaux de pellicule couleur ainsi que des films en 8mm et 16 mm ,se découvrira au fur et à mesure des années. John Maloof  le reconnait : "J’ai découvert une artiste…Ne pas explorer cette piste aurait été une erreur". Une erreur que cette exposition souhaite combler.

À découvrir jusqu'au 24 septembre

Maison de la Photographie

Place du Globe, Toulon

Ouvert du mardi au samedi de 10h à 18h

 

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